vendredi 11 mars 2016

Nice guy


Il la remarque dès qu’elle rentre dans le wagon. Elle porte un jean, un vieux pull et des lunettes. Son visage lui rappelle quelqu’un sans être tout à fait capable de savoir qui. Elle lui est sympathique, il la trouve jolie. Très jolie. Lorsqu’elle s’assoit dans la rangée à côté de lui, il ne peut déjà plus poser ses yeux ailleurs. Il la déshabille des yeux. La dévore. Imagine son corps sous son pull; dans son imagination il fait courir dessus ses mains, sa langue, ses dents.

 

Il se dit qu’il ne pourrait jamais avoir une femme comme elle, il rage de toutes ces filles qu’il a connu et sur lesquelles il a fantasmé, tout jeune déjà. Il repense aux Elodie en primaire et au collège, aux Camille et aux Laura. Il se souvient avoir eu mal à trop penser à elles. Mal au cœur, à la tête et au sexe aussi. Il leur en voulait de ne jamais s’intéresser à lui, il nourrissait sa rancœur à la force de tous les sourires qu’elles envoyaient aux autres. Les filles n’aiment que les connards se disait-il et il fulminait à imaginer à quel point il aurait pris soin de sa belle, de sa douce, juste une fille rien que pour lui.
Il sentait pour la femme du train le même sentiment d’attraction irrésistible, il savait exactement à qui il penserait ce soir en prenant sa douche.

 

Il la regardait avec avidité, s’imaginant descendre au même arrêt, l’aborder avec une confiance qui n’était certainement pas la sienne, jouer le chaud, le froid ; la provoquer et elle, elle qui serait certainement très réceptive, souriante, à rire aux éclats et à rentrer dans son jeu. La séduction serait totale, brûlante et impatiente, après quelques minutes à marcher dans la nuit il se jetterait sur elle en l’embrassant fiévreusement.

Evidemment, ils seraient alors plus très loin de chez elle, lorsqu’en l’embrassant il aurait déjà passé sa main sous son pull et pressé ses seins, elle se serait frotté contre lui, lui aurait essayé de déboutonné son pantalon lorsqu’elle se libérerait de son étreinte pour lui dire « c’est juste là, viens ! ».

Il lui aurait alors couru après dans les escaliers, et, à peine rentrés ils se seraient déshabillés l’un l’autre. Il imaginait surtout sa nudité à elle, la forme de ses seins : ronds pour les mains, triangulaires pour la bouche ; sa peau blanche et imparfaite, son cul qu’il se voyait déjà fesser, ses cheveux qu’il respirerait jusqu’à n’en plus pouvoir.

Elle serait à l’initiative de la fellation : en le poussant sur le lit elle se serait jetée sur son sexe pour le prendre à pleine bouche, sans recherche. Il mettra alors doucement la main sur sa tête l’aider à trouver le bon rythme, puis haletant, partira à la recherche de ses cuisses.

Tous deux, à la fois actifs, leurs lèvres et leur langues parcourant sans se lasser le sexe de l’autre, et passifs, tiraillés par le besoin de jouir sans contrainte de ce que l’autre fait et le doux masochisme de continuer sa tâche de façon disciplinée. C’est lui qui craquerait en premier, la faisant s’asseoir sur lui. Il aime beaucoup ça, dans sa tête, lorsque la femme est au-dessus, en tout cas au début. Comme ça, il pourrait la regarder ; regarder ses seins s’agiter en rythme, sa bouche ouverte, toucher ses cuisses et, si elle se penche un peu trop en avant lui mettre un doigt dans le cul.

Si elle ne bronche pas, ce serait pour lui le signal : elle en veut ; elle va en avoir cette salope. Il changerait de position pour la prendre en levrette. L’heure n’est plus à la douceur et à la volupté : il rentrerait violemment, la prendrait par les cheveux d’une main et la fesserait de l’autre. Elle commencerait alors à remuer, lui sommerait d’aller « moins fort » puis commencerait à vouloir changer de position, il l’insulterait. Il la coincerait encore un peu alors qu’elle se mettrait à crier. Ils se battraient un peu mais il aurait rapidement le dessus, il continuerait alors à la tringler tandis qu’elle commencerait à pleurer.

Deuxième signal ; on va lui donner des vraies raisons de pleurer… La violence, le sang et le sexe étaient le mélange qui le faisait le plus bander. Il lui mettrait un premier coup de poing, pour qu’elle saigne de la bouche. Puis un autre sur l’arcade sourcilière, « elle aura de la lessive à faire demain cette pute ». Elle hurlerait, c’est sûr, il lui mettrait la main sur la bouche pour pouvoir finir. Il s’imaginait bien jouir sur son visage ensanglanté…

C’était toujours la même chanson ; au départ ses rêves étaient doux mais très vite ils tournaient au cauchemar. Surtout pour elle. Surtout pour lui. Il se faisait peur mais oubliait aussitôt ses mauvais rêves dès le plaisir atteint.

 

Après tout, les fantasmes sont innocents, non ?

jeudi 21 mai 2015

Hélium


C’est alors qu’elle se réveilla. Elle s’était endormie en travers de son lit et dès son réveil elle eut une sensation étrange. Elle se leva, debout sur son plafond. Elle paniqua, que s’était-il passé pendant la nuit ? Pourquoi la gravité n’était-elle plus de mise à son réveil ?
Les choses avaient totalement changé de place, mais sans s’écraser, le sol était devenu le plafond. Tout simplement. Bien sûr, il restait que l’encadrement des portes était à l’envers, il fallait passer une jambe, puis l’autre pour accéder à la salle de bains.  
Elle se mit à explorer ce nouveau petit univers à l’envers. Regarda partout ; les placards d’habitude difficiles d’accès, le dessus poussiéreux de ses meubles, sa douche dont elle se demandait comment elle allait pouvoir s’en servir sans système d’évacuation par le haut…
Elle décida de sortir, d’explorer le nouveau monde à l’envers. En ouvrant la porte de son appartement, elle réalisa que pour descendre, il lui faudrait s’accrocher à la rampe des escaliers, ce qu’elle fit. Arrivée en bas de l’immeuble, elle parvint à ouvrir la porte de ses pieds, sortit et… s’envola.

dimanche 22 mars 2015

Mon ventre est mort.

Mon ventre est mort. 

Rien n’y poussera, ni maintenant, ni jamais. Il est jeune, doux mais il est mort. Inutile. Je le sais déjà. Une coquille de noix vide, stérile. Un fruit sans noyau. Ca ne change rien pour le moment. Ca change tout. Je sais déjà. Les projets sont différents.
Est-ce que je veux vraiment être maman ? Est-ce que je veux vraiment un bébé pour moi finalement ? Est-ce que je serai prête à me battre, à risquer les complications annoncées pour être enceinte ?

Moi, maman, jamais. Pas de mini-moi. A moitié construite, à moitié détruite par quelqu’un qui n’existera pas. Personne qui me ressemblera, qui nous ressemblera, pas d’enfants. Pas de bébé. Pas le choix.

Mon ventre est mort.

Ni petite fille qui aura ta bouche et mes yeux, ni petit garçon qui aura mes cheveux et tes mains.
Moi, ici je ne fais que passer, sans laisser de traces.

Un peu vieille fille, jamais complètement une femme aux yeux des autres. Pas normale, pas vraiment. L’histoire est déjà connue.

vendredi 13 février 2015

Au moins


Je voudrais m’immiscer dans ta vie comme un parasite, du lierre qui monte et qui, à la fin, fait que tu tiens debout.
J’voudrais que ça soit grand et fort et beau nous deux. Pas de demi-mesure.

mardi 27 janvier 2015

Ma mère aurait pu être Joey Starr.

Ma mère aurait pu être Joey Starr.

J’ai lu que son père l’avait obligé à manger son lapin domestique après l’avoir abattu à coups de planche de bois.

Ma mère, elle, a dû remanger son vomi. S’est fait éclater la tête contre le lavabo, comme ça, pour rien ; il passait par là. Son père lui a renversé une pleine casserole de soupe qu’elle avait elle-même préparée sous prétexte qu’elle était trop chaude. Elle avait 8 ans.
 
Ma mère et Joey ont à peu près le même âge. Sauf qu’elle est devenue maman. Remplie d’amour plutôt que de violence. Elle a inversé la vapeur, a puisé dans la force des souvenirs heureux ; les pavés pieds nus, les odeurs d’eucalyptus, les défis d’enfants et surtout la douceur de sa grand-mère.
 
Sa vraie famille ; avant de pouvoir construire la sienne. Alors c’est comme ça, le karma. Parce que j’ai eu une Maman, qui a toujours tout donné, qui a su montrer la voie, avoir peur, être là ; pas parfaite non. Elle n’a jamais trop su comment faire devant notre tristesse, elle ne la comprend pas. Celle qu’on ne s’explique pas vraiment ; celle des premiers chagrins d’amour… Comment peut-on encore pleurer alors qu’elle fait tout ?
 
Alors elle s’énerve, veut secouer tout ça, faire tomber les larmes comme on fait tomber les pommes pour que tout aille mieux, enfin.
Moi j’pourrais jamais avoir d’enfants. Mon ventre est mort…

Pourtant je pense que ça aurait pu marcher. J’aurais pas été de ceux qui battent, qui humilient, qui trichent. J’aurais eu la patience, tu penses, avec tout ce que j’ai reçu !

lundi 19 janvier 2015

La Montagne, l'Eau et la Sorcière

C’est l’histoire d’un garçon grand comme la montagne. Si grand que les nuages se coinçaient autour de son cou.

Un jour, il rencontra une fille belle comme la pluie. Elle pouvait être douce et sentir la terre mouillée mais aussi creuser des ravins dans la peau et lancer des éclairs par les yeux.

Le garçon grand comme la montagne ne savait pas danser. Un soir, une dame si laide qu’on aurait dit une sorcière s’approcha de lui alors qu’il dansait.

« Non, pas comme ça, tes bras ne sont pas en rythme avec tes jambes ». Elle avait l’air d’avoir bu et était mal fagotée.

« Regarde » et elle lui prit les bras pour danser avec lui. Il la fit tournoyer un moment puis finit par s’ennuyer et voulut retourner auprès de ses amis.

La fille-pluie les avait vus au loin et, malgré la laideur de la femme, bouillonnait de jalousie à l’intérieur.

La sorcière insista un peu pour qu’il reste, voulut lui apprendre quelques pas, en rythme. Elle renonça devant la nonchalance du jeune homme mais lui donna son numéro de téléphone en précisant qu’elle était professeur et pourrait sûrement lui apprendre quelques ficelles.

Il accepta poliment puis finit la nuit sous l’eau.

C’est encore trempé au matin que, piqué par la curiosité, il appela la danseuse.

Ils convinrent d’un café tous les deux, le soir même près de Bastille.

Lorsqu’il la vit, il se rendit compte à quel point elle était débraillée. Habillée de bric et de broc, à peine peignée, elle lui adressa un large sourire lorsqu’elle le reconnut. Tandis qu’elle lui parlait de danse, d’arabesques et de tchatcha, il l’écoutait silencieusement, répondant à ses sourires et se demandant ce qu’il faisait là. Elle lui expliqua qu’elle pourrait lui apprendre beaucoup, qu’elle avait été une grande danseuse et qu’elle pourrait lui faire un prix d’ami. D’ami. Déjà.

Lui n’était pas tout à fait convaincu. Mais finalement c’est une façon comme une autre de passer le temps.

La filleau ne comprit pas ses absences, commença à douter, et comme toutes les jalouses du monde à penser qu’il y avait quelqu’un d’autre. Elle ne pouvait rien dire, à cause du caillou dans la gorge qui poussait chaque fois qu’il approchait. Ce caillou était là depuis le début ; il ne laissait de  place à la voix que lorsque celle-ci faisait des blagues. « Oui aux plaisanteries, et non aux choses sérieuses !» se disait-il joyeusement.

C’est alors qu’elle était condamnée à n’être que drôle aux yeux de celui qu’elle aimait. Drôle et jolie, certainement, mais pas intelligente, ni profonde, ni rusée.

Lui se contentait de tout ça, il ne voyait pas plus loin que le bout de son nez et se disait qu’il avait bien de la chance d’être tombé sur une fille aussi sympa. Qui ne lui disait jamais rien, qui le laissait faire ce qu’il voulait et à qui il ne faisait pas de peine. Apparemment.

Il dansa, dansa, tant et si bien qu’il finit par apprendre des tas de choses, à être finalement gracieux et viril, tantôt drôle, tantôt sérieux à chaque mouvement.

La vieille vivait dans un appartement miteux, humide et sans toilettes. Le papier peint se décollait par endroits et en regardant bien, des têtards vivaient dans les recoins du plancher mou.

La vieille était cassée ; porte branlante, piano désaccordé, moteur démonté. Elle crut le reconnaître plusieurs fois dans ses mouvements mais, évidemment, à chaque fois ce n’était que le très grand homme. Elle avait eu du chagrin mais ça faisait si longtemps déjà... Lorsque son frère disparût, elle crût mourir avec lui. Il n’était pas de ce monde, jeune suicidé, jeune pendu, quel gâchis ! Le premier chagrin d’amour fait des ravages se souvint-elle. Elle ne comprit jamais, comme toujours avec ceux qui restent.

Tout allait très vite lorsqu’elle parlait, et, souvent, des mots venaient perturber son discours. Ils n’avaient rien à voir avec l’ensemble et s’échappaient comme des bulles d’air dans l’eau. Elle était très attachée à la montagne et s’intéressait beaucoup à ses histoires de cœur. Elle n’avait aucune envie de le voir partir et avait appris à faire très attention aux gens amoureux. Par chance, il n’avait pas l’air de l’être…

Il lui manquait ; trop parfois pour pouvoir manger ou rire. Elle pensait à lui comme on pense à un proche à l’étranger, en se disant que, malgré le décalage horaire ou les mers qui nous séparent, il saurait qu’à ce moment précis nous l’avons qui valse dans notre crâne. Elle lui parlait souvent, de l’amabilité de la boulangère jusqu’à son admiration des très grands animaux. Il était son guide dans cette petite vie, la faisait parler à voix haute pour qu’elle se rende compte de ses inepties, parfois. Elle cherchait des gens à aimer et avait trouvé chez la montagne la gentillesse et l’écoute dont elle avait besoin.

La filleau ne tenait plus en place, elle avait beaucoup attendu, trop sûrement, le caillou dans sa gorge se faisait lave. Elle pourrait lui parler mais alors tout serait détruit.

Seule la vieille savait le toucher ; elle se décida alors à la rencontrer.

Petit à petit, elles s’apprivoisèrent ; la vieille sentait la détresse de l’eau qui devenait vapeur à trop réfléchir ; l’eau quant à elle comprenait la douce force, l’équilibre précaire qui tenait la vieille debout et la faisait danser.

« Je lui parlerai si tu veux », et la sorcière rajeunissait à se prendre pour une marieuse, se souvenant de son adolescence à n’avoir de cesse que de former des couples autour d’elle.

Alors, elle lui parla. Longuement. Voulut savoir ses engagements, ses doutes et ses silences.

Il comprit vite ce que la vieille lui voulait. Il était las.

Ne comprenait-elle pas ?

Il ne voulait pas, ne pouvait pas. Il était très bien comme ça.

Seul.

Et c’est sans attaches, aucune, qu’il décida de partir. Fuir cette ville pour une autre ; parce qu’il était seul et heureux et qu’il comptait bien encore en profiter.

Bien sûr qu’il tenait à elles, il leur écrirait tous les mois.
Seul, il l’était à l’annonce de sa mort.

vendredi 2 janvier 2015

Bout.

Plus que de la sale viande, puante, saignante, le sous-homme. La carcasse qui gueule, qui se vautre, grogne et ronfle. La dignité ? Et puis quoi encore ? Y’a pas d’épaule ici, pas de canne à pêche pour nous sortir de là. Ca sent les pieds, la transpiration et l’alcool. De la beauté il y en a toujours, oui, dans l’encre de la Seine, la nuit. Il fait encore chaud à Paris, c’est pas tout à fait l’automne. Le bruit est partout, dedans, dehors. 

Les gens titubent sur les pavés, c’est l’heure de rentrer.